lundi 8 mars 2010

Inviter la douleur - Isabelle Brabant

Source : petit monde

Choisir la douleur, l'inviter plutôt qu'en être victime!

Et si ça changeait tout?
Quand on parle de la douleur de l’accouchement, on oublie qu’on passe le plus clair du temps à ne pas avoir mal! La plupart des contractions durent une minute; les dernières, plus intenses, durent quelquefois une minute et demie, mais les intervalles de repos durent de 2 à 5 minutes au moins. Le corps n’est pas fou: il s’est prévu un gros travail, mais il s’est également prévu des temps de repos! Chaque intervalle entre les contractions devrait donc être un moment de repos infini, de regénérescence. Quand on donne la vie, on doit aussi se nourrir, se remplir, à même chaque respiration, chaque regard échangé, chaque parole et chaque geste. Malheureusement, il arrive souvent qu’on reste centrée sur la contraction même quand elle est finie!
Êtes-vous prêtes à profiter de chaque seconde de paix? Sommes-nous prêts à offrir ce support à chaque femme qui accouche?
Le support
Il faut que les femmes puissent répondre spontanément aux sensations du travail. Pour accoucher comme elles le veulent, nous dit Claudia Panuthos, les femmes ont besoin:
1. d’information;
2. de liberté, d’espace et de permission pour expérimenter des choses nouvelles;
3. d’amour inconditionnel, c’est-à-dire non relié à leur «performance»;
4. de confiance dans leur capacité à relever ce défi.
La liberté d’émettre des sons est un excellent exemple de permission dont on parle. On a souvent confondu relaxation et silence. Ou encore gémissements et panique. À l’hôpital, on interprète parfois un écart à la respiration enseignée comme un état de panique! Or, au contraire, les femmes qui peuvent s'exprimer vocalement pendant leurs contractions ont souvent plus de facilité à les vivre. Bien sûr, personne n’est obligé de gémir, mais celles qui en ressentent le besoin y trouvent un soulagement et une voie d’expression importante.
Émettre des sons aide le corps à produire ses propres remèdes à la douleur: les endorphines. Le chirurgien français bien connu Michel Odent a démontré, par son travail à Pithiviers, comment la production d’endorphines est encouragée par la pénombre, l’usage du minimum de paroles, le chuchotement, le contact de l’eau et la possibilité de faire des «bruits d’accouchement». Ces sons ressemblent étrangement à ceux produits en faisant l’amour, ce qui explique probablement le malaise de certaines personnes et leur préférence pour les femmes silencieuses qui font leurs respirations!
Le toucher est une façon extraordinaire d’aider une femme en travail. Un toucher conscient, attentif et présent, en correspondance souple avec les sensations de la femme qui accouche. Il ne suffit pas de «faire des massages». Souvent, je chuchote au père ému et fébrile qui veut aider sa femme en la massant: «mets du calme dans tes mains». Quand les sensations sont très intenses, les femmes préfèrent parfois la présence immobile et chaude des mains plutôt qu’un mouvement de friction qui distrait ou envahit. C’est un langage qui gagne à être exploré petit à petit par les deux partenaires tout au long de la grossesse.

La visualisation est un moyen efficace quoique moins connu d’aider le travail et de favoriser la détente. Visualiser le col qui s’ouvre, au plus fort de la sensation. Appuyer son ventre contre quelqu’un et lui «envoyer» une partie de la douleur, imaginer un endroit de repos et de paix où aller se réfugier entre les contractions pour se régénérer sont autant de façons de s’harmoniser avec le travail.
La douleur agit comme un professeur, implacable et aimant, qui nous rappelle encore et encore de dépasser nos positions, d’investiguer plus profondément, de laisser l’instant présent être ce qu’il est et d’observer ce qui monte dans la plénitude du moment suivant.
La respiration a gagné ses lettres de noblesse comme moyen de support pendant l’accouchement depuis les travaux de Lamaze et de Dick-Read au début des années 50. Le principal mérite de ces méthodes est d’avoir permis la présence du père à l’accouchement (comme «coach») et le refus des anesthésies générales alors courantes. Ces méthodes, qui sont principalement des techniques de distraction, n’ont plus vraiment leur place dans leur forme la plus stricte. Après tout, l’hypothèse de base est que sans l’application de la méthode, les femmes n’y arriveraient pas!
En fait, laissée à elle-même sans consigne spécifique, la respiration change et s’adapte tout au long du travail. Les différentes techniques de respiration, le yoga et toutes les approches qui visent à rendre la respiration plus consciente, plus pleine, plus vivifiante, sont autant d’excellentes préparations à l’accouchement… et aux autres moments de la vie où une mère a besoin de l’ensemble de ses ressources pour retrouver son calme.
Le mouvement et la liberté de bouger sont essentiels! Quand avez-vous vu, par exemple, un film qui montrait une femme marcher pendant ses contractions pour se soulager? Ou accoucher debout? Les images courantes d’accouchements nous ont tellement habituées à voir les femmes confinées à leur lit, incapables de bouger, qu’on a accepté peu à peu cette immobilité imposée aux femmes sans se rendre compte qu’on multipliait d’autant la douleur ressentie. Marcher, se bercer, bouger le bassin en rotation ou autrement, s’asseoir, s’étendre, se relever et s’étirer au besoin, sont des droits fondamentaux en tout temps, et encore plus quand on accouche! Seules des indications médicales très sérieuses pourraient justifier qu’on les limite.
Avant de commencer à accompagner des femmes dans leur accouchement, j’avais une image sérieuse, dramatique, souffrante de la douleur, à l’exclusion de toute autre. L’une de mes plus grandes surprises aura été, sans doute, de rencontrer simultanément la douleur ET la joie, Et l’excitation, ET une grande paix au cœur! Je ne savais pas que la douleur pouvait cohabiter avec le bonheur! Celles qui acceptent l’expérience sont capables de se voir comme étant plus grandes que la douleur, si intense soit-elle. «Je ne suis pas que douleur», pourraient-elles dire.
Plusieurs d’entre nous n’arriveront pas à ce détachement, mais comme le disait Ina May Gaskin, «si vous n’avez pas la trempe d’une héroïne, vous pouvez au moins en rire»!  S’accepter à l’intérieur de ses limites avec humour et amour nous prépare à être parents, à accepter et à aimer l’enfant qui vient tel qu’il est. On ne fait toujours que de son mieux! Le jugement et la comparaison ne servent qu’à blesser le cœur et à le fermer. Mieux vaut utiliser l’expérience comme une extraordinaire occasion d’apprendre sur soi et d’avancer.
Pour consulter les deux premières parties de ce texte, cliquez ici.
La version intégrale de ce texte d’Isabelle Brabant a été publiée dans la revue L’une à l’autre, numéro hiver 1987.

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