dimanche 10 mai 2009

Les sage-femmes assurent, assurons les !

Source : mediapart

C'est du moins ce que clament et réclament plus de 2800 Déchainées. Parties de l’idée que la libération du corps de la femme ne doit pas s’interrompre à la porte de l’hôpital ou durant la grossesse et l’accouchement en général Les Déchainées réclament la possibilité pour les sage-femmes de disposer d’une assurance pour ce qui fait le coeur de leur métier: la naissance. Leur arme ? Un manifeste provoquant et calqué sur celui des 343 salopes.

Interview de Sélina Kyle webmistress du site des Déchainées réalisée par téléphone le 24 avril 2009.

- Bonjour Sélina, quel est votre objectif avec ce manifeste qui reprend celui des 343 salopes ?

Mon objectif est d’alerter l’opinion sur un problème de santé publique à savoir que le système de soins contraint les femmes à faire un choix d’accouchement sans assistance médicale par dépit, dans une semi clandestinité qui peut devenir dangereuse. Ce que nous soulignons par rapport aux années 70, c’est que les femmes ne sont toujours pas reconnues libres de disposer de leur corps. Il y a pénurie (volontairement organisée) de sages-femmes pour accompagner les accouchements à domicile (AAD). Plein de choses contribuent en France à dissuader de pratiquer des accouchements extra hospitaliers: les problèmes d’assurance, les pressions des instances professionnelles, la formation telle qu’elle est organisée, les pouvoirs publics (codification des actes inadaptée, (cf Réforme de la T2A) , et donc on diminue le nombre de sage-femmes qui peuvent assurer ce service.

Cette pénurie exerce une contrainte sur le corps des femmes : il ne reste plus que le choix entre l’accouchement non assisté médicalement (ANA) et l’hôpital.

- En quoi cette question de l’assurance est elle capitale ?

Elle exerce une pression sur les sage-femmes. Légalement elles sont tenues d’avoir une couverture assurantielle donc ça pose des problèmes. Des ordres régionaux leur demandent de produire copie de leur contrat alors qu’elles savent pertinemment qu’elles n’en n’ont pas. (Les assurances sont inabordables avec un tarif à 19 000 euros /an).(1)

En cas de problèmes, d’accidents il peut y avoir un procès. L’avocat peut coûter très cher. De quoi faire peser une crainte sur les sage-femmes. L’accouchement à domicile est d’autre part peu rétribué. A cela s’ajoutent des contraintes professionnelles fortes qui pèsent sur la vie de famille comme la disponibilité 24h sur 24 sans savoir quand on va revenir, une différence significative avec l’accouchement en structure hospitalière. Concrètement ce sont des consultations reportées, la garde des enfants à organiser au pied levé. C’est donc une activité qui n’est pratiquée que par fortes convictions.
Au départ les femmes subissaient l’accouchement à domicile (AAD) sans avoir le choix, sans forcément de suivi médical , une piètre connaissance de leurs corps, parfois une piètre santé. C’est l’époque où l’on subissait la nature. Puis il y a eu l’accouchement « sans douleurs » qui n’était pas toujours sans douleur. Les femmes ont majoritairement plébiscité la péridurale, avec une volonté de conquête. Aujourd’hui la sophrologie, le yoga, l’eutonie, le chant prénatal, l'haptonomie, l’acuponcture, l’hypnose, … et même la méthode Lamaze, viennent répondre à une nouvelle demande des femmes : pouvoir se préparer à vivre un accouchement plus pleinement et par leurs propres moyens. Au delà des méthodes, des femmes souhaitent garder leur liberté de mouvements ou envisagent d’accoucher dans l’eau. Paradoxalement, je pense que c’est en partie parce qu’existe la péridurale. La femme y va cette fois parce que c’est une envie, plus une contrainte. Elle sait qu’à tout moment elle peut être soulagée si elle le souhaite.

C’est un peu comme la contraception. Beaucoup de femmes subissaient la maternité. Pour beaucoup de femmes la maternité c’était l’aliénation. Pouvoir choisir la maternité rend l’option plus séduisante.

Il y a aussi le fait que beaucoup, après un accouchement sous péridurale qui pourtant s’est « bien passé », ont le sentiment qu’on leur a volé quelque chose, d’avoir subi plus que vécu leur accouchement…

En cela l’accouchement à domicile d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui de ma grand-mère. Et le problème aujourd’hui c’est que les femmes n’ont plus le choix.

- Cette impression de n’avoir pas le choix face à la douleur, n’est elle pas liée à une offre réduite à la péridurale ou rien? En Suède les femmes se voient présenter un nombre plus important de méthodes de soulagement...

Il y a peu de temps est paru une étude qui déclare que 95 % des femmes résidant en France sont satisfaites de leur accouchement mais elle ne peuvent comparer avec rien. Les pôles physiologiques sont rares. La possibilité d’être réellement accompagné par une sage-femme peu fréquente (elles « gèrent plusieurs dossiers de front », l’administratif). Les contraintes sur le corps s’accumulent : pas de mouvement, le monitoring, pas de bain, pas de positions antalgiques.

Avec en plus tout un discours derrière, lors de la visite chez l’anesthésiste « vous voulez une péridurale je suppose.. ? ». Pour certains, il semble incongru de vouloir faire sans... Après quand on arrive à la maternité, non seulement il n’y a bien souvent pas d’accompagnement mais en plus on vous demande fréquemment si vous n’avez pas changé d’avis, si vous ne voulez pas la péridurale. Avec parfois certaines incitations directes, telles « l’anesthésiste va partir il faut vous décider maintenant ».

La péridurale systématique est un cache misère. Elle permet de surveiller plusieurs femmes en même temps. C’est un problème politique : en Angleterre il y a deux fois moins de gynécologues et deux fois plus de sage-femmes (2)

- « Un bébé comme je veux et où je veux » est ce que ce n’est pas égoïste et dangereux ?

Oui tout à fait, c’est égoïste ! Il faut que les femmes deviennent « égoïstes ». On s’est trop servi, pour mieux les manipuler, de l’argument selon lequel c’était pour le bébé qu’il fallait accepter sans broncher tous les protocoles hospitaliers, sans qu’aucune preuve n’établisse un réel bénéfice pour ce dernier ! Exemples :la surveillance du cœur du bébé par monitoring en continu (dont on sait qu’il augmente le taux de césariennes sans bénéfices pour le fœtus), la position gynécologique imposée qui comprime la veine cave et empêche ainsi une bonne oxygénation du bébé, etc.

On pourrait multiplier les exemples où le corps de la femme subit gêne et douleurs du seul fait de ces habitudes de travail du corps médical, davantage liées à leurs peurs et à des questions d’ordre médico-légal et d’organisation du service qu’à un bénéfice pour la santé du bébé…

Il fut un temps où la vie de la mère primait sur celle de l’enfant : elle pouvait encore en avoir. Ensuite, la médecine permettant grâce notamment à la césarienne, aux antibiotiques et à la transfusion sanguine, de préserver la vie des femmes, le corps médical a centré son attention sur un nouveau patient : le bébé. D’où l’accouchement dirigé où l’important est que le bébé naisse vite et bien, peu importe ce qu’on fait subir à la mère.

Le milieu médical a fini par nous faire croire que les intérêts de la mère et du bébé étaient antagonistes. Il n’en est rien. Avoir un accouchement plaisant ce n’est pas nuire à son bébé et c’est important pour soi. Le bébé ne sera pas en moins bonne santé parce que les désirs de sa mère auront été respectés.

- « Pensez à votre bébé » c’est en somme un moyen d’évacuer la rationalité (études, débats, libre consentement...) pour imposer l’affectif (soyez une bonne mère)?

Oui forcément avec cette pression affective les femmes vont accepter n’importe quoi. J’aimerais que les femmes découvrent à l’hôpital comme à la maison une naissance qui soit aussi une naissance égoïste, pour elles. Penser à soi, études scientifiques à l’appui. Le bébé ne va pas mal parce que la mère vit bien l’accouchement.

L’organisation actuelle contribue à créer une douleur morale. Une douleur qui naît lorsque les choses sont remises en question par les femmes. Certaines contraintes comme ne pas pouvoir boire ou manger si ce besoin se fait sentir, les touchers vaginaux en particulier pendant les contractions, la rupture artificielle de la poche des eaux, l’injection d’hormones de synthèse pour rentabiliser les contractions, l’expression utérine accroissent considérablement la douleur...

C’est aussi une prise de contrôle par les femmes que nous souhaitons : Une sorte d’affranchissement. La femme réalise que, sauf impératif médical, elle n’a pas besoin de l’intervention d’un tiers pour accoucher !

- Comment vous est venu l’idée de passer par l’humour ?
C’est un ami , le professeur Charcot, qui avait posté un documentaire qui montrait une nouvelle forme de contestation sur le logement à un prix abordable et ils venaient en bande déguisés ou bien squattaient des manifs avec un style joyeux mais un discours sérieux. Pour durer dans le temps on pouvait venir et partir, prendre du plaisir en militant.

En maniant l’humour nous ambitionnons de briser certaines résistances irrationnelles. Quand les chiffres scientifiques montrent que l’accouchement extra hospitalier a des chiffres comparables à l’accouchement hospitalier cela ne suffit pas à ouvrir le débat et le choix (voir entre autre ici ) Le blocage perdure.

Je reprends par exemple des propos de deux gynécologues mais tout en respectant leurs intentions j’introduis de l’humour et des propos acides. Ma première vidéo par exemple est un exemple d’autodérision : une caricature de clients pour Maison de Naissance, écolos babas cool, avec de l’encens, des lunettes à la John Lennon…

- Votre combat serait donc féministe pourtant vous faite l’objet cette semaine d’un article assez acerbe et réducteur dans Charlie hebdo

Le féminisme des Déchainées est à inventer. Le féminisme des années 60-70 occultait la maternité tant chez les essentialistes que chez les universalistes ; elles ont en commun de ne pas s’y intéresser. Paradoxalement c’est l’idéal féministe d’Agathe André qui bloque. Les Déchaînées ne sont pas de tel ou tel courant féministe mais combattent pour que les femmes soient respectées, qu’elles disposent de liberté et de choix.

L’accouchement se passe dans le corps des femmes : c’est le sexe de la femme que l’on coupe, c’est sur le corps d’une femme que l’on appuie à fond, c’est une femme que l’on réprimande ou qu’on maltraite. C’est ce que vivent les femmes qui accouchent qui m’intéresse.

L’histoire de l’émancipation des femmes s’est faite de manière très progressive et relativement récente (fin de l’autorisation du mari pour exercer un emploi, accès au compte bancaire, contraception, avortement, le divorce...). Le droit de disposer de son corps quand on accouche et d’être traitée en adulte responsable s’inscrit dans cette lignée.

Ces envies de liberté ont mis du temps à germer dans l’esprit des femmes et autant ces avancées s’imposent aujourd’hui à nous comme une évidence, autant les femmes de l’époque étaient parfois partagées sur ces sujets. Les féministes elles-mêmes pas forcément toujours d’accord . Il n’est donc pas étonnant à mes yeux que notre combat n’aie pas forcément bonne presse aux yeux de certaines féministes.

- Quel est le succès du site ?

Le dernier épisode c’est d’avoir décroché un article dans Charlie Hebdo et l’opportunité de parler d’accouchement physiologique. On parle du manque d’alternative à la prise en charge hospitalière traditionnelle. Les personnes intéressées iront voir sur le site. Sinon on continue à briser le tabou, à amener les femmes à exiger des changements jusqu’à ce qu’il y ait prise de conscience et revendication massive.

(1) complément d'information fournit par Sélina Kyle et mis en ligne le 9 mai 2009 : la majorité des assureurs refusent d'assurer les
sage-femmes pour les accouchements à domicile. D'autre part, selon Laurence Platel, Présidente de l'association nationale des sages-femmes libérales (ansfl), l'unique assureur qui le fasse propose un tarif autour de 19 000 euros par an, soit l'équivalent du revenu annuel de certaines sages-femmes libérales.

(2) 19 500 sages-femmes et 4500 gynécologues 35 000 en Angleterre (pour 100 000 femmes de moins et une moindre natalité) et 2800 gynécologues obstétriciens.
De plus, on lit sur le site du Conseil de l'Ordre des sages-femmes :
"Les dernières données concernant les sages-femmes sont néanmoins à nuancer car, en réalité, compte tenu du temps partiel qui représente, selon les dernières sources (annexe du PLFSS 2004) 35 % des effectifs tous secteurs confondus, le nombre de sages-femmes en équivalent temps plein est bien inférieur à celui annoncé dans les statistiques. Le nombre de sages-femmes actives serait donc plutôt de l’ordre de 16.000."

Boite noire : J’ai signé ce manifeste il y a quelque mois. Intrigué par la vision présenté dans l’article de Charlie hebdo j’ai voulu en savoir plus. Il est également possible de réclamer une assurance pour les sage-femmes.

(les liens sont disponibles sur l'article original)

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