mardi 25 novembre 2008

Faut-il interdir les accouchements sans péridurale ?

L’analgésie péridurale, qui permet de ne pas sentir la douleur de l’accouchement, est-elle une avancée pour les femmes ? Indéniablement. Or certaines, au XXIème siècle, souhaitent donner naissance sans péridurale. Mais que veulent donc les femmes ?

Pas de péridurale, un choix rationnel ?

Elles jurent qu’elles n’auront pas de péridurale, ou bien elles préfèreraient l’éviter mais n’excluent pas d’y avoir recours. Certains de leurs motifs sont intimes, personnels, de ceux qu’il serait vain d’expliquer. D’autres ont une grande part de rationnel lié au fait que la péridurale est un acte médical qui, en tant que tel, comporte quelques risques.

Est-il raisonnable de souhaiter se passer de cette analgésie en raison de ces risques ? Les effets secondaires sont soit rares, soit sans gravité excessive, et n’apparaissent généralement pas de nature à remettre en question le choix d’une femme qui, pour des raisons qui lui sont propres, n’envisage pas de s’en passer.

Passons en revue quelques-unes des raisons qui poussent certaines femmes à préférer éviter la péridurale. [1]

- La société française d’anesthésie-réanimation (SFAR) nous apprend que la péridurale entraîne fréquemment des difficultés à uriner, ce qui nécessite l’évacuation de la vessie par une sonde [2]. Le sondage n’est pas forcément agréable, et on sait qu’il entraîne des infection urinaires nosocomiales [3]. Cela se soigne bien. Certaines femmes préfèrent néanmoins, si possible, se passer de ces désagréments courants.

- Cette même SFAR [4] souligne que la péridurale peut, exceptionnellement, générer après l’accouchement des maux de tête qui sont empirés lorsqu’on se met debout. Certaines femmes préfèrent, si possible, ne pas courir ce risque, ni fréquent ni grave, mais occasionnant de fortes douleurs pendant les premiers jours passés avec le nouveau bébé.

- La péridurale nécessite toujours l’injection d’une hormone, l’ocytocine, pour son action sur les contractions utérines. Cette substance est assez sûre pour permettre une utilisation sans hésitation lorsque nécessaire, mais elle a, rarement, des effets secondaires graves, comme le choc anaphylactique et l’hémorragie postpartum [5]. Il n’est donc pas totalement déraisonnable de préférer éviter les situations où cette intervention devient nécessaire.

- La péridurale, probablement parce qu’elle entraîne toujours, en pratique, la position allongée, la surveillance continue du rythme cardiaque du fœtus, et souvent la baisse de l’envie de pousser, rend des interventions plus souvent nécessaires pour terminer l’accouchement. Les interventions en question sont, par exemple, les césariennes, les extractions instrumentales (forceps), les épisiotomies (incision du périnée). Ces interventions sont alors, bien sûr, pratiquées à bon escient. Pourtant elles ont, par elles-mêmes, des conséquences plus ou moins gênantes : après l’accouchement, l’épisiotomie reste plus douloureuse qu’une déchirure [6] ; en cas de césarienne, les grossesses suivantes sont plus risquées car le placenta s’implante plus souvent sur la cicatrice et qu’il y a risque de rupture utérine pendant l’accouchement ; les forceps contribuent aux déchirures graves du périnée, avec toutes les conséquences possibles (du type : incontinence urinaire ou fécale). S’il est déraisonnable de refuser ces interventions lorsqu’elles sont nécessaires, il semble rationnel de préférer favoriser les situations qui en minimisent le besoin.

Est-il interdit d’accoucher sans péridurale ?

Il est insupportable que des femmes qui, comptant sur la péridurale et ne présentant pas de contre-indication médicale, ne puissent pas en bénéficier pour des raisons d’organisation des soins (disponibilité de l’anesthésiste, occupation des salles d’accouchement), ou parce que l’analgésie ne marche pas ou laisse tout un côté sensible, voire - et il semble qu’on l’entende encore - par conviction des professionnels. Ces situations, non anticipées, génèrent des traumatismes profonds.

On entend aussi dire que des femmes subissent des pressions qui les poussent à prendre une péridurale qu’elles auraient préféré éviter. Ces pressions sont-elles imaginaires ?

Pression idéologique

- Certains courants diffusent cette idée que la péridurale n’est qu’un bien à imposer à l’humanité et n’admet pas de dérogation, sinon par obscurantisme. Dans son livre La sociologie de l’accouchement [7], B.Jacques rapporte ainsi ces paroles d’un gynécologue-obstétricien : "celles qui ne veulent pas de péridurale, c’est un problème d’éducation ... Elles sont un peu arriérées."

- Dans la même lignée, certains professionnels de santé, persuadés qu’il est humainement impossible d’accoucher sans péridurale, sapent la confiance que des femmes ont en elles-mêmes. Le Bêtiser officiel de l’obstétrique (Boob) rapporte cette scène où un anesthésiste, lors d’une visite de fin de grossesse, dit à une femme déterminée à se passer de la péridurale "Vous semblez bien sûre de vous ! Mais croyez-en notre expérience et sachez bien que si vous dites cela c’est parce que vous n’avez jamais accouché !" [8].

Protocoles qui favorisent la souffrance : immobilité sur le dos

- Lorsque la femme arrive à la maternité pour accoucher, elle est encore le plus souvent forcée de rester allongée sur le dos, immobilisée par des sangles reliées à un appareil de monitoring et par une perfusion. Or, cette position, alliée à l’immobilité contrainte, semble être, pour la plupart des femmes, la plus douloureuse possible. Les études cliniques [9], [10] sont sans appel : les positions verticales diminuent considérablement les douleurs ; et l’expérience des femmes montre que la douleur peut être réellement minimisée par le mouvement et par des positions non imposées mais prises spontanément par la femme en fonction de ce qui la soulage le plus.

- La situation est donc que 1 - les études sont formelles sur le fait qu’il y a des avantages médicaux aux positions autres qu’allongées sur le dos. 2 - le monitoring fœtal peut être pratiqué de façon intermittente, et il est alors aussi efficace, en terme de mortalité et morbidité fœtales , que s’il est laissé en continu. 3 - la perfusion n’est pas nécessaire en routine et elle peut être remplacée par une voie veineuse (cathéter seul) pour anticiper les cas d’urgence.

Il donc faut bien considérer l’obligation d’immobilité comme une pratique inhumaine générant des souffrances sans raison médicale envers toutes les femmes qui accouchent : celles à qui la péridurale n’a pas encore été posée et envers celles qui ne la souhaitent pas d’emblée.

Protocoles qui favorisent la souffrance : administration systématique d’ocytocine

- Une autre intervention est l’administration de cette hormone de synthèse, l’ocytocine, destinée à augmenter les contractions. Elle est indiquée pour certaines situations (déclencher l’accouchement, en cas de péridurale, en cas de problème pendant ou après l’accouchement) mais les protocoles de nombreuses maternités imposent une administration en routine, et le plus souvent omettent d’informer la femme du contenu de la perfusion.

- Les contractions qui en résultent provoquent des douleurs largement supérieures à celles liées aux contractions spontanées. La conséquence est souvent une grande difficulté à gérer la douleur, ce qui fait que les femmes, même si elles ne la voulaient pas, finissent par recourir à la péridurale. Comme la plupart du temps elles ne savent pas que le contenu de leur perfusion est une cause d’accroissement des souffrances, elles repartent avec l’idée que réellement, elles ne sont pas capables de gérer la douleur des contractions. Il serait de bon ton que les protocoles hospitaliers prévoient de n’administrer cette substance qu’au cas par cas, sur réelle indication médicale, et en tout état de cause après en avoir informé la femme.

Ne nous méprenons pas : les douleurs de l’accouchement ne sont pas à imputer uniquement aux protocoles hospitaliers et à l’état mental des femmes. Accoucher fait mal, différemment d’une femme à l’autre. Accoucher, même dans les conditions optimales de confort et de respect, peut être trop, trop douloureux. La péridurale est un progrès, dès lors que les femmes peuvent choisir librement d’y avoir recours en fonction de leurs souhaits et de leurs besoins.

Que réclament les femmes, finalement, péri or not péri ?

Les femmes réclament le droit à disposer de leur corps indépendamment des pressions sociales et médicales. Elles n’ont pas à justifier leur choix concernant l’analgésie en cours d’accouchement, et tout doit être mis en œuvre pour que ce choix soit respecté et accompagné.

Leurs revendications portent donc sur

1 - L’optimisation de l’organisation des soins pour rendre la péridurale possible lorsque la femme en exprime le besoin, hors contre-indication médicale.

2 - L’abstention, de la part de tous les professionnels de santé, de toute expression de mépris et de traitement discriminatoire envers les femmes en raison de leur choix relatif à l’analgésie en cours d’accouchement.

3 - L’évolution des protocoles des maternités pour éliminer tout traitement qui démultiplie la douleur et ajoute des souffrances sans justification médicale prouvée et adaptée à la personne. Cette mesure profiterait à la fois aux femmes à qui la péridurale est contre-indiquée, à celles en attente de péridurale et à celles qui souhaitent s’en passer

Choisir d’être respectée

Comment les femmes peuvent-elles savoir si telle maternité est respectueuse des choix de chacune ? Les indicateurs proposés (comme le classement des maternités par la presse) font bonne part au pourcentage de péridurale, ce qui ne rend pas compte de la diversité des souhaits des femmes et de la réponse qui leur est apportée. Il serait utile de connaître la part de femmes dont les choix ont bien été accompagnés et respectés. C’est un enjeu de la qualité des soins en maternité et tant que citoyens d’un pays développé, nous y sommes particulièrement attachés.


[1] Toutes les sources médicales de cet article ont la certification HONcode, qui vise à garantir la qualité des sites internet d’information médicale. http://www.hon.ch/

[2] Source http://www.sfar.org/infoapdobst.html "Une difficulté transitoire pour uriner est fréquente lors d’un accouchement et peut nécessiter un sondage évacuateur de la vessie. Une baisse transitoire de la pression artérielle peut survenir. Si les dérivés de la morphine ont été utilisés, une sensation de vertige, des démangeaisons passagères, des nausées sont possibles. Des douleurs au niveau du point de ponction dans le dos peuvent persister quelques jours mais sont sans gravité."

[3] Haute autorité de santé/ Mission pour le développement de la médiation, de l’information et du dialogue pour la sécurité des soins. Guide pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales en maternité. http://www.sfhh.net/telechargement/recommandations_guidematernite.pdf

[4] Source http://www.sfar.org/infoapdobst.html "Exceptionnellement, des maux de tête majorés par la position debout peuvent apparaître après l’accouchement. Le cas échéant, leur traitement vous sera expliqué. Dans de très rares cas, une diminution transitoire de la vision ou de l’audition peut être observée. Des complications plus graves : convulsions, arrêt cardiaque, paralysie permanente ou perte plus ou moins étendue des sensations, sont extrêmement rares."

[5] Informations sur les médicaments provenant directement de la FDA, Food and Drugs Administration, organisme de contrôle sanitaire des Etats-Unis. http://www.drugs.com/pro/syntocinon.html "The following adverse reactions have been reported in the mother : Anaphylactic reaction, Postpartum hemorrhage, Cardiac arrhythmia, Fatal afibrinogenemia, Nausea, Vomiting, Premature ventricular contractions, and Pelvic hematoma [... ]" (la liste continue, incluant une complication fatales à la mère ou à l’enfant)

[6] Recommandations de pratique clinique de Collège national des gynécologues obstétriciens français http://www.cngof.asso.fr/D_PAGES/PURPC_14.HTM "Dans le post-partum immédiat, les patientes ayant eu une épisiotomie se plaignent de douleurs périnéales plus que celles ayant accouché avec un périnée intact ou une déchirure du 1er ou du 2e degré (Grade B). Cette différence n’existe plus à 3 mois de l’accouchement."L’épisiotomie semble augmenter le risque d’hémorragie du post-partum (Grade B). Un certain nombre de traumatismesfœtaux ont également été décrits lors de la réalisation de l’épisiotomie."

[7] Sociologie de l’accouchement, Béatrice Jacques, ed. Puf. 2007 ISBN 978-2130558323

[8] Source http://boob.over-blog.fr/article-19763426.html

[9] Melzack R, Belanger E, Lacroix R. Labor pain : effect of maternal position on front and back pain. J Pain Symptom Manage. 1991 Nov ;6(8):476-80 (fiche AFAR 1134). http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/1835474 ?dopt=Abstract, traduit en français par l’AFAR http://afar.info/id=1134

[10] Gupta JK, Nikodem VC, Women’s position during the second stage of labour. Cochrane Database Syst Rev.2000 ;(2) :CD002006

Auteur : Emma Plaf

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